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19 septembre 2014

L’ACTION MARKETING EST MARQUEE PAR LA CULTURE


Série : Compréhension du consommateur

L’article précédent a cherché à saisir la notion de culture, à situer l’acheteur par rapport à celle-ci. Le présent article traite de son impact manifeste sur les choix de consommation et de là sur les décisions de l'entreprise.

La dimension culturelle des choix de consommation
L’action marketing s’appuie nécessairement sur le substrat socioculturel du comportement d’achat. Pourquoi ?
Parce que « l’anthropologie nous apprend qu’un individu doit être situé par rapport  à sa culture pour être bien compris » (1) ; il ne peut être appréhendé indépendamment du milieu dans lequel il vit. La culture touche tous les aspects de l’action humaine ; elle a une incidence plus ou moins forte, plus ou moins perceptible sur les attitudes et les modes de consommation. Elle constitue un puissant facteur explicatif de l'achat ou du non-achat. A un degré ou à un autre, c'est toujours à travers la culture que la définition des besoins s'effectue. (2) « Ainsi les faits sociaux ne sont pas anodins. Ils relèvent d’une logique propre à la culture qui impose des obligations, des interdictions et qui situe les individus les uns par rapport aux autres, au travers de statuts et de rôles parfaitement codifiés ». (3)
L'éclairage culturel permet de bien comprendre la signification attachée à divers actes de consommation (alimentation, cadeaux, cérémonies, loisir) et, de là, le rôle qu'y jouent les produits désirés. Au Maroc, par exemple, la consommation de miel est concentrée sur le mois de Ramadan (près de 90 % de la quantité totale). L’efficacité de l’action de l'entreprise, à n’en pas douter, est conditionnée par la connaissance du champ de référence culturel, par l’aptitude à s'adapter aux contraintes qu’il engendre et à en saisir les opportunités.

Implications en marketing
La culture ne se situe donc pas hors du territoire du marketing, s'inscrit bel et bien dans son champ d'action. (4) Elle influe, d'une façon ou d'une autre, sur les décisions relatives au marketing-mix. Il en est ainsi essentiellement des composantes du produit, du conditionnement, de l’étiquetage, de la politique de communication (contenu du message, choix du vocabulaire). « Le discours [publicitaire] propose un miroir culturel – en général flatteur – au destinataire, interpellé à la fois comme individu suprême, le client, et comme membre d'une communauté culturelle… ». (5) Sur la publicité du bouillon Idéal, on peut lire : « les tablettes Idéal respectent parfaitement les prescriptions musulmanes en matière d’abatage et de fabrication ». Au mois de Ramadan, Pizza Hut et McDonald’s proposent des menus spéciaux (menus f’tour), organisent des soirées et des jeux pour l’occasion. Lorsque le jour de l’An est tombé pendant ce mois, comme de 1996 à 2000, l'activité des importateurs-distributeurs d'alcools s’est ralentie.
Considérons cet autre exemple révélateur : lorsque la station-service Somepi à Casablanca a introduit le lavage self-service (en 1994), son dirigeant s’était rapidement rendu compte que des utilisateurs, moyennant 10 dh de plus, préféraient faire laver leurs voitures par autrui (par brosse). Il avait donc installé des « pistes assistées » à côté des pistes self-service. Manifestement, le contexte n’était pas propice à l'esprit du self-service…  
Ne perdons pas de vue la sous-culture : elle offre également des contraintes et des opportunités. Au besoin, on se doit d'adapter l'action commerciale aux caractéristiques distinctes des communautés culturelles ciblées – pour ce qui est du langage utilisé, du nom de la marque, du mode de distribution. En matière de publicité, les axes et thèmes seraient choisis en fonction des catégories identifiées. « La question essentielle est de savoir si les sous-groupes sont assez importants en nombre pour qu’une offre particulière leur soit accordée ». (6) On gagne aussi à savoir s’ils sont réellement sources de différenciation dans le mode de consommation.
Rappelons enfin que l'entreprise ne se contente pas de s’adapter au milieu socioculturel ; parfois elle s’emploie à l’influencer. Son action conduit à produire, renforcer ou reconstruire certains codes et significations. Elle participe à la conversion du système de référence au sein duquel elle évolue et peut même, en le forçant, le dénaturer. En 2000, le magasin Style de Vie à Casablanca invitait ses clients potentiels à « fêter la Saint Valentin ». Un an après, le bijoutier Azuelos transmettait le même message : « Il y a des dates que l'on n'oublie pas… 14 février, Saint Valentin ». Cette distorsion insolite par rapport à la réalité culturelle au Maroc était un fait inédit.


Culture et globalisation
La notion de culture est particulièrement importante dans le contexte d’ouverture mondiale des marchés, pour la simple raison que les représentations et idéaux diffèrent selon les pays. L'entreprise qui entend s'implanter dans un espace ou y exporter ses produits doit à coup sûr tenir compte des singularités culturelles de celui-ci. Nombre de dirigeants ont appris à leurs dépens qu'on ne saurait exporter un concept sans adaptation. Les débuts difficiles de Disneyland Paris en sont un bon exemple.  
Aujourd’hui, invoquant la nécessité de rationalisation et d’optimisation, les publicités cherchent à être transnationales, à toucher tout le monde de la même façon. Or, on l’a dit, les populations ici et là n'ont pas les mêmes formes de logique ; les mots et les images n'ont pas partout le même sens. La création publicitaire ne saurait avoir un caractère universel. Les axes et thèmes publicitaires sont conçus normalement en fonction du contexte socioculturel. La publicité des voitures Daihatsu, montrant un homme avançant vers une femme avec un bouquet de fleurs à la main, est-elle transposable en dehors du monde occidental ? S’agissant d’un produit comme le lait corporel, notons-le, on communique sur l'hygiène en Allemagne, sur la beauté en Italie et en France.
Il y a danger à croire qu'une même stratégie marketing aboutirait en toutes circonstances à des résultats identiques dans des pays différents. Les Marocains sont différents des Allemands : ils portent les mêmes Nike, mais voient et sentent les choses de façon différente. Le fauteuil d’un PDG marocain doit avant tout refléter le prestige, alors qu’un PDG allemand en attend plus d'ergonomie et d'efficacité.
Les dissemblances culturelles ont une profonde incidence sur la mise en œuvre des plans marketing à l’étranger. Il est impossible de faire abstraction des particularismes. « Une appellation, une photographie peuvent choquer dans un pays et être fort bien adaptés dans un autre ». (7) Les publicitaires occidentaux recourent souvent à des sous-entendus sexuels dans leurs messages. Au Japon, au Brésil et en Suède, la nudité frontale est fréquente à la télévision. A l’opposé, en Malaisie les vêtements sexy sont prohibés.
« Les compagnies américaines qui produisent et distribuent leurs produits en Europe ont dû apprendre que les stratégies commerciales ne pouvaient pas toujours être exportées sans transposition en Europe. Le conception des produits elle-même doit être différente parfois ». (8) Dans les restaurants KFC en Chine, la décoration met en exergue la grande muraille, les ombres chinoises, les cerfs volants ; la communication se réfère aux valeurs de solidarité et à l’esprit de famille…
Pour l'entreprise exportatrice, la langue est un élément culturel essentiel. Les différences ayant trait au langage et à ses significations particulières sont à l'origine parfois de graves malentendus. De nombreux échecs sont liés au fait que le nom du produit soit inacceptable dans le pays d'importation. Il y eut une époque où les Allemands ont essayé de lancer leur chocolat aux Etats-Unis sous la marque Zit, sachant qu’en anglais le mot veut dire bouton d'acné. Il en était de même de la marque Colgate qui cherchait à lancer son dentifrice Cue dans les pays francophones. Quant à la firme Général Motors, elle n’est pas parvenue jadis à diffuser son modèle de voiture « Nova » en Amérique Latine, parce qu’on avait perdu de vue qu'en espagnol « no va » signifie « ne marche pas »… (9)

Thami BOUHMOUCH
Septembre 2014
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(1) J. P. Helfer et J. Orsoni, Marketing, éd. Vuibert gestion, p. 117. 
(2) Cf. mon article : L'entreprise dans son environnement socioculturel (n° 2, avril 2011), http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/lentreprise-dans-son-environnement.html
(3) R. Ladwein, Le comportement du consommateur et de l’acheteur, éd. Economica, p. 31.  
(4) Cf. mon article : Le culturel n’est pas hors du territoire du marketing (n° 107, mars 2014), http://bouhmouch.blogspot.com/2014/03/le-culturel-nest-pas-hors-du-territoire.html
(5) Geneviève de Béco, Discours universaliste ou miroir des particularismes..., Management interculturel, mythes et réalités, F. Gauthey et D. Xardel (sous dir. de), Economica, p. 48.
(6) J. P. Helfer et J. Orsoni, op. cit., p. 118.
(7) Ouvrage ibid., p. 117.
(8) J. Lendrevie et D. Lindon, Mercator, Dalloz, pp. 161-162.
(9) Cf. mon article : L'entreprise dans son environnement socioculturel, op cit.

9 septembre 2014

COMMENT LA CULTURE FAÇONNE NOS CHOIX DE CONSOMMATION


Série : Compréhension du consommateur


Le comportement d’achat est conditionné par des facteurs relevant pour l'essentiel de la famille d'appartenance, du groupe de référence, de la classe sociale et du contexte culturel. (1) Le présent article vise à bien comprendre ce qu'est la culture, à situer l’acheteur cible par rapport à celle-ci. L’article qui suivra traitera de son impact sur les choix de consommation et de là sur l'action marketing.

Culture et processus de socialisation
L’homme n’agit pas par le seul instinct. Il se différencie de l'animal par la culture.
Celle-ci est considérée comme un ensemble complexe de représentations, de croyances, de règles de conduite, de connaissances et de traditions communément admises – à un temps donné – par une communauté humaine. Elle résulte des efforts passés de la société pour s'adapter à son environnement. La langue, l'art, les convictions morales ou religieuses en font partie. « La culture constitue un programme psychologique collectif, un système partagé d'interprétations. Elle détermine les principales différences non biologiques chez l'être humain ». (2)
La culture définit les valeurs fondamentales des membres d'une société : esprit de famille, charité, sens du rationnel, volonté de changement, discipline… « Nous appelons valeurs les goûts et aversions du public, les penchants et préjugés qui colorent sa vision du monde et marquent ses comportements. En filigrane, les valeurs sont la source des besoins et désirs que l'entreprise doit satisfaire ». (3)
Il en est ainsi de l’individu qui désire acheter un ordinateur : sa décision « résulte de son appartenance à une société moderne dans laquelle la technologie est valorisée. […] Il sait que la société d’aujourd’hui apprécie la compétence technique. Pour un aborigène d’Australie, un tel objet peut n’avoir aucune signification fonctionnelle et ne représenter qu’une curiosité ». (4)  


La culture est une force complexe, acceptée souvent inconsciemment. Elle détermine si l’individu est ponctuel, matérialiste, exigeant en matière d'hygiène, respectueux de l'environnement… (5) Elle conditionne donc son comportement d'achat. « Lorsqu’on compare des individus issus de milieux culturels différents, les contrastes sont souvent frappants et toute la richesse et l’importance de la culture comme variable explicative du comportement des consommateurs apparaissent ». (6)
Il y a culture parce que les hommes vivent en communauté. Ils apprennent à vivre et à fonctionner en société. Leurs attitudes et leurs choix sont façonnés par le processus de socialisation – un long processus au cours duquel ils assimilent les normes qui caractérisent la société d'appartenance. Une telle assimilation s’effectue par le biais des agents de socialisation que sont la famille, le système éducatif, le milieu religieux et les médias. La culture n'est donc pas innée mais acquise ; elle s'acquiert tôt dans l'enfance. Les valeurs sont transmises de génération en génération. C'est l'héritage social de l'individu. « A la manière d'un codage génétique, chaque individu recevrait un capital culturel qui le définirait au même titre que son héritage morphologique ». (7)

La culture n'est pas figée
Les normes culturelles, les valeurs, les attitudes sont variables. Elles évoluent au cours du temps… La vie dans les villes marocaines est, à beaucoup d'égards, très différente de ce qu'elle était dans les années 50 ou 60. La place de la femme était au foyer et la famille nombreuse constituait une norme valorisée. Aujourd'hui, l’irruption massive de la femme dans le monde du travail est en train de bouleverser la vie familiale. Les couples ont peu d'enfants.  
Vu les moyens de communication en expansion rapide, l'émergence de nouvelles valeurs risquent de modifier encore plus notre manière de vivre. Des motivations comme la simplification de la vie, le matérialisme, l'importance du loisir, le désir de rester jeune... donnent naissance à de nouvelles exigences (fours micro-ondes, hypermarchés, parcs de jeux, centres d'amincissement…).
La « Khattaba » traditionnelle n'est plus d'actualité et des agences matrimoniales entendent investir le créneau du mariage ; des rencontres sport et loisirs sont organisées, parallèlement à des entrevues individuelles. De même, des sociétés d'aide aux personnes seules (Union 3000, Unicis) sont installées à Rabat et Casablanca… Une coupure s'est opérée avec les mœurs d'antan… Le mode de vie d'une famille des quartiers huppés de Casablanca, notons-le, n'a rien à voir avec celui des habitants d’Ouezzane ou de Tiznit et se rapproche beaucoup de celui des Européens. Ainsi, il y a entre les membres d’une société et ceux d’une autre société à la fois des différences et des ressemblances.
Eu Europe, on connaît le phénomène du retour au naturel et la tendance au non-chimique. Au Japon, les rôles traditionnels de l'homme et de la femme sont remis en cause. Les jeunes, qui ont moins le culte du travail, veulent consommer davantage… (8)
Notons que le marketing ne s’attache pas seulement à s’acclimater au contexte culturel ; il cherche aussi à l’influencer. Au Maroc, le déferlement de produits occidentaux permet l'entrée en filigrane d'idées et d’aspirations d'un autre monde. La pilule et le préservatif masculin ont modifié les valeurs les plus fondamentales de la société (sexualité dans le mariage, sexualité pour la procréation). La chaîne de restauration McDonald’s a introduit (dès 1992) des normes de conduite et un mode de consommation inconnus jusque-là. L’introduction du téléphone portable et des tablettes a altéré la vie sociale et l’interaction entre les individus... 

N’oublions pas les sous-cultures
La notion de culture ne saurait être réduite à l'espace national. Les sociétés sont rarement caractérisées par une culture monolithique. Au sein d'une même collectivité, outre la culture dominante, plusieurs sous-cultures peuvent être distinguées.  
Une sous-culture est un ensemble de normes et croyances propres à une communauté particulière et qui la caractérisent au sein d'une société. Elle est définie en termes de style de vie : c’est un particularisme culturel, « une constellation d'attitudes, d'opinions et de centres d'intérêt qui se traduisent par des comportements distinctifs ». (9)  En d’autres termes, c’est « un groupe qui, tout en cherchant à s’intégrer aux valeurs et aux normes de la culture dominante, préserve des caractéristiques qui lui sont propres ». (10)
Les communautés se distinguent notamment par l’ethnie, la localisation géographique, la religion et la nationalité.
- Les particularismes ethniques : au Canada, nombre d'études ont porté sur les différences de consommation entre les anglophones et les francophones. Les goûts diffèrent pour les soupes en sachet, les légumes surgelés, les boissons alcoolisées, la fréquentation des magasins… Les deux groupes ethniques n'ont pas les mêmes intérêts, les mêmes attitudes, les mêmes activités. Par exemple, la jeune fille francophone est plus portée sur la famille, la maison et la cuisine. (11) Notons qu’aux Etats-Unis, la communauté hispanique n'achète pas les mêmes cigarettes que la communauté anglo-saxonne.
- La consommation diffère également suivant les régions. Les disparités régionales sont parfois fortes et la vente de produits typés ne peut pas s'étendre à l'ensemble du territoire. Les migrations tendent à atténuer ces différences sans pour autant les éliminer. Au Maroc, les populations sahraoui et rifaine ont chacune leurs traditions, leurs langues et leurs coutumes propres. De plus, le mode de vie à la campagne est manifestement différent de celui des citadins. Aux Etats-Unis, « les chips vinaigrées se vendent mieux dans le Nord-est, celles aux herbes dans le Sud-ouest et celles à la crème dans le Midwest ». (12) Au Canada, les Acadiens ont des formes de logique à part. En France, les Alsaciens, les Bretons et les Corses ont des modes de vie distinctifs. On boit surtout de la bière dans le Nord, le pastis et le vin dans le Sud.
- S’agissant des communautés religieuses, on sait que les Juifs au Maroc ont leurs croyances, normes et tabous particuliers. Il en est de même des citoyens musulmans en Europe (respect des interdits alimentaires)…  
- Quant aux groupes de nationalités, les expatriés européens vivant au Maroc, aussi bien que les immigrés maghrébins et les Chinois résidant en Europe, ont des goûts et des besoins spécifiques...
Culture et sous-culture offrent à la fois des contraintes et des opportunités – comme il sera vu dans l’article qui suit. 

Thami BOUHMOUCH
Septembre 2014
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(1) Voir mes 5 articles précédents : n° 114 à 118, publiés en juin, juillet et août 2014.
(2)  J. Denfeld Wood, L'Economiste du 16/3/99.
(3)  Alexander Hiam et Charles Schewe, MBA Marketing - Les concepts, éd. Maxima, p. 80.
(4) Philip Kotler et Bernard Dubois, Marketing management, Publi-Union, p. 182
(5) Cf. mon article : Le culturel n’est pas hors du territoire du marketing, (n° 107, mars 2014) http://bouhmouch.blogspot.com/2014/03/le-culturel-nest-pas-hors-du-territoire.html
(6) Jean-Paul Sallenave et Alain d'Astous, Le marketing de l'idée à l'action, éd. Simex, p. 65.
(7) Geneviève de Béco, Discours universaliste ou miroir des particularismes..., Management interculturel, mythes et réalités, F. Gauthey et D. Xardel (sous dir. de), Economica, p. 46.
(8) Cf. Hiam et Schewe, op. cit., p. 80.
(9) P. Kotler et B. Dubois, op. cit., p. 167.
(10) Kotler, Di Maulo, McDougall, Armstrong, « Le Marketing de la théorie à la pratique », éd. Gaëtan Morin, p. 64.
(11) Cf. Kotler, Di Maulo et al., ibid., pp. 60-61.
(12) Hiam et Schewe, op. cit., p. 250.